Messieurs les députés et journalistes français! C'est au nom de mes compatriotes réunis à cette fête, que je vous salue et vous dis, combien vous êtes les bienvenus parmi nous. Tout ce que vous avez vu et entendu, dès le moment que vous avez mis le pied sur le sol danois, m'autorise à vous le dire au nom du peuple danois.
Oui, messieurs, vous êtes ici dans un pays ami. Élève zélé de la civilisation française, allié séculaire de la France, victime des revers de l'empire, c'est encore sur la France que reposent ses espérances. C'est surtout en Slesvig — depuis dix siècles la convoitise, depuis trois ans la proie des Allemands — qu'est enracinée la conviction que la France ne permettra jamais d'en faire une nouvelle Pologne, car, messieurs, le bon sens du peuple sait toujours discerner ses vrais amis, même à travers les ténèbres d'une situation difficile. Tout ce que nous demandons, c'est que vis-à-vis de nous on respecte le principe, au nom duquel on a démembré une vieille monarchie, et qu'on exécute loyalement la promesse solennelle qu'on vient de donner en face de l'Europe entière. Or, messieurs, c'est la France qui a inscrit le principe des nationalités sur son drapeau; c'est à l'initiative de l'Empereur que nous devons cette promesse. La France n'abandonne jamais son drapeau glorieux!
Oui, messieurs, vous êtes ici dans un pays ami — j'ose ajouter: digne de votre intérêt. Vous savez que depuis des siècles il a pris une honorable part à l'oeuvre commune de la civilisation, et qu'il jouit sage ment d'une liberté large, loyalement acquise. Vous savez que depuis vingt ans il lutte pour défendre son indépendance et qu'à diverses reprises il a bravement combattu contre des forces d'une supériorité écrasante. Abandonné à lui-même il a dû nécessairement succomber. Mais je vous invite, messieurs, à vous convaincre de vos propres yeux si nous sommes écrasés. Regardez autour de vous, et vous verrez que l'esprit public, s'il a été ébranlé pour un moment, a pourtant repris toute la sérénité, toute la confiance que donne la foi en Dieu et le bon droit. Nous ne demandons pas mieux que de vivre en paix et bonne intelligence avec notre puis sant voisin; mais quel que soit le sort qui nous est réservé, nous marchons vers l'avenir inconnu — la tête haute!
Soyez donc les bienvenus, messieurs, puisque vous venez chez nous en bons amis! Rien n'a pu vous attirer dans ces contrées lointaines, si ce n'est la noble sym pathie qu'éprouve toute âme généreuse pour les opprimés, dignes d'un meilleur sort. Et ce ne sont pas des sentiments stériles que vous nous apportez. Non, mes sieurs, c'est un secours moral, dont nous savons apprécier toute la valeur; c'est un gage que nous ne sommes pas oubliés et délaissés dans ce monde, qui ne sera pas pour toujours abandonné à la merci de la force primant le droit; c'est la promesse que pour nous aussi viendra un jour — non de vengeance, mais de réparation. Grace vous en soit rendue, messieurs!
Si votre présence parmi nous, dont le charme est rehaussé par sa spontanéité, a été acceullie par les acclamations du peuple, c'est que nous vous regardons comme les représentants de la grande nation française. Nous voyons ici des membres de sa représentation nationale, dont le dévouement est le ferme soutien de l'honneur de l'empire, et dont la tribune — cette tribune qui a tant de fois remué le monde — vient de retentir de la sympathie, que trouve toute cause juste et noble dans le grand coeur de la France. Nous voyons ici d'honorables représentants de la presse française — mais la presse, messieurs, est en même temps l'atelier et l'arsenal de l'opinion publque, et l'opinion publique est la plus sublime et la plus irrésistible de toutes les puissances.
Soyez donc mille fois les bienvenus!
Vivent nos hôtes français!